2023 - Tadjikistan
Cela fait au moins trois ans que j'envisage de parcourir à vélo la Pamir Highway qui relie Dushanbe, capitale du Tadjikistan, à Osh au Kirghizistan. Les aléas politiques interdisent encore aujourd'hui de passer la frontière entre Tadjikistan et Kirghizistan. J'ai déjà parcouru la partie Kirghize de Osh à Sary Tash (2009 https://ddvagabondages.fr/index.php/dede-velo/voyages/asie/tashkent-kachgar-2009-1) lorsque cette route aujourd'hui bitumée, était principalement en piste. C'est l'heure pour moi de tenter la plus grande partie Tadjik de Dushanbe à Murghab, un périple un peu hors norme compte tenu de l'importance des pistes difficiles à parcourir, du cumul des dénivellations, du col de Khaburabot à franchir, des incertitudes sur le ravitaillement, des parcours à plus de 4000 mètres. L'objectif est de rallier la petite cité de Murghab. La frontière étant fermée, le retour à Dushanbe est envisagé en "taxipartagé" jusqu'à Khorog puis jusqu'à la capitale. Je tente ... sachant que c'est probablement très ambitieux mais bon ... à essayer ...
Le Tadjikistan est une ancienne république de l'Union Soviétique, indépendante depuis 1991. Ce pays montagneux est enclavé entre l'Ouzbékistan, le Kirghizistan, la Chine, l'Afghanistan. Il est bordé au Nord-Est par les montagnes du Pamir avec notamment le Pic Lénine frontalier du Kirghizistan où j'avais décidé de m'arrêter au camp 3 à 6300 m en raison de moufles déchirées ... La Pamir Highway traverse la région autonome du Haut-Badakhchan qui nécessite un permis spécial !
Aïe ! ... C'est la difficulté ! ... Par deux fois le visa électronique (site evisa.tj) avec le permis spécial pour la région autonome du Haut-Badakhchan m'a été refusé après paiement, sans motif. J'ai téléphoné à l'Ambassade du Tadjikistan à Paris pour comprendre : réponse l'argent n'est pas remboursé et le motif de refus est interdit par les dispositions réglementaires tadjiks ! Mais ... porte d'entrée possible pour les français : pas besoin de visa si la durée de séjour est inférieure à un mois, et le permis spécial pour la région autonome du Haut-Badakhchan peut être obtenu aux bureaux de l'OVIR à la capitale Douchanbé. C'est dans ces conditions que je pars malgré tout, espérant l'obtention du permis spécial à Douchanbé ...
La préparation de ce voyage m'a pris la tête d'abord en raison des contraintes administratives toujours incertaines et pour le cumul des points de difficultés possibles : si l'appellation Pamir Highway pourrait faire penser à une très belle route à quatre voies, la réalité est tout autre puisque les portions bitumées ou pavées sont relativement limitées et sans trop d'entretien parcourues par les poids lourds chinois, le reste étant de la piste difficile. Donc beaucoup de handicaps pour un vélo chargé à 50 kg ... Problème de ravitaillement avec des soucis gastriques permanents si l'on en croit les compte-rendus des cyclistes l'ayant parcouru. Challenge majeur pour le cumul de dénivellations et les parcours à plus de 4000 mètres d'altitude ... Donc le bipède et le Mulet doivent être au top d'une préparation minutieuse.
Le vélo a été inspecté minutieusement car, comme le patron, il commence à avoir pas mal de kilomètres au compteur puisque c'est ce même vélo avec lequel j'ai fait tous mes voyages : voilage des roues, roulements, dérailleurs, chaine, plateaux, pignons, remplacement du porte-bagage arrière sectionné au Kirghizistan en septembre dernier, freins, selle ... loctite pour diminuer les risques de desserrement des fixations sur les pistes. Le bonhomme s'est astreint à un entrainement minutieux mais sans trop forcer, privilégiant l'endurance à petits pas à la vitesse en testant l'organisme avec chargement et chaleur ... Je verrai bien ....
Périple réalisé :
Dimanche 20 août 2023 - Départ sans … histoire mais pas sans stress
Aéroport de Lyon-Saint-Exupéry … mon gps ne connait pas ! Bizarre. Le bout du jeu de piste est tout de même atteint par les multiples routes aux environs de l’aéroport sans trop de panneaux indicateurs. Le vélo est tout beau bien dressé dans un carton bien solide et tout maquillé de gros ruban adhésif. Les sacoches joufflues sont enfermées dans un magique sursac très léger en plastique armé qui commence à blanchir aux coutures après les multiples voyages vécus.
L’enregistrement se passe sans histoire malgré le poids (carton-vélo 28 kg, sacoches 18 kg et sacoche cabine 8 kg+). Le passage sécurité s’est simplifié : plus besoin de sortir l’ordinateur du sac. J’ai fait sonner mais après trois passages par la raquette de monsieur Sécurité, rien … mystère !
Le premier avion pour Istanbul est là avec plein d’employés qui lui tournent autour. L’avion … une ruche ! Au sol, le ballet des petits trains transportant bagages, alimentation, colis parfois imposants. C’est étonnant tout ce qui peut être enfourné dans une soute d’avion.
Les chauffeurs de ces petits engins ont l’oeil pour éviter de se tamponner. Un ventripotent qui n’a pas dû voir ses genoux depuis un certain temps arrête son tracteur pour accrocher les wagonnets. Force de la nature, il recule son tracteur à la force des bras et … clic ! Il repart à fond la caisse avec cinq wagonnets.
Comme d’habitude, l’avion est quasiment plein sauf les … deux places à côté de la mienne. Etonnant, le personnel de Turkish Airlines n’a pas la courtoisie de dire bonjour en français. Mais, j’ai tout de même réussi à capturer la seule bouteille de vin rouge qui restait sur le chariot alimentaire. Le déjeuner servi était correct, avec des couverts métalliques de bonne dimension. La salle d’attente à Istanbul est très polyglotte et très polyculturelle avec pas mal de fichus sur la tête voire des burkas bien foncées . avec des chaussures de tennis bien blanches.
Le gros Airbus 330 est plein comme un oeuf, à croire que le trajet Istanbul - Douchanbé est très fréquenté. Une demi heure de retard au décollage (Istanbul airport est très embouteillé, les avions font la queue). Mais un bon quart d’heure d’avance sur l’horaire annoncé à l’arrivée. Douchanbé est dans le noir. Il est un peu moins d’une heure. Foule au portillon mais … il faut sortir ! Deux heures ! … Le passage douanier est extrêmement lent d’autant que j’avais oublié de remplir un papier donc … la queue deux fois ! Et … je ne vois pas les bagages qui tournent sans fin sur le tapis roulant ! Aïe, pas de carton vélo visible non plus. Je m'apprêtais à sortir pour faire réclamation et voilà que dans le coin reculé du hall le sac vert des sacoches et le vélo sont là … Ouf ! Des misères quand même ont sévi sur le carton avec deux énormes trous mais pas de perte … Le chauffeur très patient de Green House hostel avance sa voiture … trop courte de 20 cm. On fait bailler la malle en l’entourant d’une ficelle … Il est maintenant plus de 3 heures du matin. Dodo … court pour demain matin aller chercher ce foutu permis spécial GBAO obligatoire pour le Pamir !
Lundi 21 août 2023 - Le permis GBAO … je l’ai enfin !
Ce matin, après très peu de sommeil, le clairon a sonné à 6h pour remonter le vélo avant un petit-déjeuner sommaire (deux oeufs frits, yaourt, banane) pour attendre le gérant de l’auberge qui doit faire un bon d’accueil sans quoi pas de permis spécial GBAO (oblast autonome du Haut-Badakhchan). Bizarre mais c’est ainsi au Tadjikistan tout comme le non remboursement des montants payés pour un visa refusé (par deux fois pour moi !) tout comme l’interdiction réglementaire de motiver les refus de visas. Donc, on peut imaginer que le Père Dédé était un peu à cran ce matin puisque sans permis GBAO pas de possibilité d’aller dans le Pamir donc retour à la maison.
Finalement, c’est le gardien de l’auberge qui m’a fait le “bon” de résidence que les policiers de l’OVIR m’ont confirmé comme pièce indispensable. Plein de papiers et de copies de papiers ont été faites avec un prix à payer de 2,5 euros puis changement de pièce avec remise du passeport pour confiscation jusqu’à 16 heures. Chaleur accablante ! Marche à pied éprouvante dans la capitale aux trottoirs et ruelles très souvent défoncés. Retour toujours un peu en avance, le policier me reconnait et me dit par la fenêtre que je suis arrivé trop tôt … Je pars dans une autre pièce où une employée me remet le précieux identifiant avec deux bons en format papier de la dimension des pages du passeport. Mais … pour qu’elle me rende et le passeport et le permis GBAO il lui faut une photo d’identité. J’avais prévu. Le coût apparemment varie selon les personnes interrogées. J’ai dû verser 285 somonis soit en gros 28 euros. Si j’ajoute les paiements des deux visas avec GBAO refusés cela représente quand même 128 euros. A qui va cet argent ? … Mais j’ai cette fois le césame pour le Pamir Tadjik !
Achat d’une carte Sim locale pour essayer comme au Kirgizistan et en Turquie de communiquer plus facilement et me rassurer aussi avec le site d’écriture. Journée nerveusement un peu épuisante. Alors que j’avais imaginé débuter le périple vélo demain mardi, je ne partirai de Douchanbé que mercredi.
Anecdote : en rentrant du restaurant ce soir beaucoup de parlottes dans le hall d’entrée du Green House Hotel et je reçois un accueil étonnant (pour moi) avec une forme d’hommage à celui qui ce soir sourit (because permis GBAO) qui pédale en solitaire, qui ferait plus jeune qu’il n’est (bof ils ne savent pas qu’à partir du moment où le corps commence à se faire sentir on ruse …) … bref des choses surprenantes alors que j’essaie de me faire le plus discret possible … Oui, pour une fois il n'y a pas que des jeunes dans les auberges de jeunesse !
Mardi 22 août 2023 - Duchanbe, derniers réglages … émotionnels
Après le permis spécial GBAO - mais oui, je l’ai ! - la tension nerveuse devait baisser d’un cran. Plutôt que de partir de suite aujourd’hui mardi j’ai décidé de passer une journée paisible. La nuit a été correcte. Réveil tranquille. Petit déjeuner toujours aussi sommaire. Il me faut de l’essence pour le réchaud, il faut régler la pression des pneus, caler un peu mieux le guidon pour éviter le décrochage avant en cas de freinage ou de chaos brutal, changer un peu plus d’argent, recharger à fond les diverses batteries du téléphone, de la tablette ordinateur, des lumières avant et arrière, de l’appareil de photos, de la balise satellite, de la batterie tampon. Et essayer de baisser la pression dans la tête. Joli programme. Quelques français sont arrivés au Green House hostel dont un couple avec un énorme side car russe venu de France et qui vient de parcourir la Pamir Highway. Sympathique rencontre mais … une information qui décidément risque de me poser un vrai problème à résoudre je ne sais comment : entre Kalaikum et Khorog les chinois ferment la route (piste) sur une quarantaine de kilomètres de 8h à 12h et de 13h à 18h. J’avais déjà vu les chinois à l’oeuvre entre Och et Sary Tash au Kirgizistan qui redessinaient et bitumaient la piste kirghize. Font-ils les mêmes types de travaux au Tadjikistan ? Quelles solutions pour le bipède cycliste qui ne peut pas couvrir les 40 km de travaux entre 12h et 13h ? Trouver un camion sur place qui me prenne ? Peut-être les cyclistes sont-ils autorisés ? … Pas trop penser … Décidément le Tadjikistan réserve encore des surprises. On verra bien …
Ce soir, je dois harnacher le Mulet avec ordre et méthode pour équilibrer au mieux le poids et ne rien oublier d’essentiel. Beaucoup de liquides, de nourriture donc aussi beaucoup de poids. Le gonflage des pneus a surpris le mécanicien qui me disait de ne pas trop gonfler en raison du risque d’éclatement (avec la chaleur ?). Le problème est que le manomètre du gonfleur n’indiquait rien. Donc j’ai gonflé pour ne plus pouvoir presser les pneus avec les doigts …
Demain matin, le petit-déjeuner se fera dans ma chambre avec un pot de yaourt et une banane, et je partirai à 7h sans oublier d’activer la balise satellite.
Mercredi 23 août 2023 - Départ au "frais" 22°C, 40 km après … 42°C, 65 km je m’arrête !
Le Mulet est lesté lourdement (trop probablement). J’ai avalé un yaourt double et une banane. Je laisse mes affaires de retour au Green House hostel dans le carton balafré et porte tout à la cave. La balise satellite cherche les coordonnées de l’hôtel et je déclenche le suivi par 30 minutes pour que les points d’avancée s’affichent précisément sur la carte du site en page d’accueil. Le jour est levé (7h) et le trafic s’intensifie avec des queues de poisson, des arrêts brusques sans clignotants … bref les affres habituelles des capitales. Je fais le point de temps en temps avec Maps.ME pour que je ne m’égare pas dans les carrefours. Le paysage est très quelconque avec beaucoup de détritus stockés au plus facile. La circulation est quand même redoutable pour un cycliste qui, du fait du poids à tracter, est toujours en zigzag. Parfois, les véhicules passent très très près. Mais là aussi c’est une banalité. L’écarteur placé sur l’arrière ne semble pas produire beaucoup d’effets.
Je pensais arriver à faire 100 km aujourd’hui du fait de la seule étape de bitume. C’était sans compter Monsieur Soleil qui est monté en température jusqu’à plusieurs fois 42 °C. J’ai eu droit à des petits cadeaux bien appréciés : une grappe de raisin de table, un sandwitch fourré à la viande, et deux fois 1 litre d’eau minérale. Sympas les tadjiks ! Mais ça montait et même si ce n’est toujours que moins de 10% de pente, lorsqu’on est à devoir pousser de l’ordre de 120 kg (bonhomme, vélo, bagages), les moindres pentes sont très physiques. Et il y a beaucoup de montées à faire sous le cagnard qui a souvent dépassé les 40 °C. Inutile de dire que le cycliste a fini par se cramer au point de s’appuyer pour tenir l’équilibre aux arrêts ! J’avais deux soucis techniques : je ne pouvais plus passer sur le grand pignon et ma béquille ne tenait plus le poids du vélo . Problème donc de transmission alors que j’avais tout régler bien sûr avant de partir. Effet probable des transferts aux aéroports (comme dab !!). Après 65 km, je passe devant ce qui semble être un hôtel avec un beau parc. Je suis crevé par la chaleur. Un employé qui arrose l’herbe me hèle pour m’inviter à m’arrêter. J’accepte pensant que c’est plus prudent compte tenu qu’il me resterait encore une trentaine de km pour atteindre la fin de l’étape prévue et que chaleur, poids, état du bonhomme me feraient plutôt renoncer. Je range le Mulet contre un arbre. J’accepte une chambre et une proposition de nourriture un peu limitée puisque c’est juste du poulet sans légume et pas de petit-déjeuner. Mais … il y a de la bière ! Avec cette chaleur quoi de plus réconfortant ! On me prête une pince plate un peu forte pour remettre le dérailleur dans le droit chemin. Ca semble être mieux. Je réussis à améliorer l’équilibre de la béquille. Donc tout va mieux pour repartir demain.
Douchanbé - hôtel MEXMOHXOHA 65 km +917 m -200 m 20°C à 42°C
Jeudi 24 août 2023 - Pied à terre pour la deuxième fois de mon activité vélocipédique (après la montée par le Nord au lac Son Kul au Kirgizistan en septembre 2022)
Hier c’était chaud, très chaud. Aujourd’hui, après une nuit potable mais avec une musique d’hôtel à fond, je réussis à avoir un café que j’accompagne de deux biscuits et d’une banane. Départ à 6h30 avec une température parfaite 14°C. Ma réparation du dérailleur semble efficace … pour passer le grand pignon … j’en aurai besoin ! Désormais finies les longueurs paysagères sans intérêt. Je suis en montagne. Donc montées/descentes à répétition. Mais surprises ! Je dépasse Obigarm un gros bourg, puis descends (fini le bitume !) vers la rivière Vakhsh qui forme un grand lac avec des extractions gigantesques opérées par d’énormes scrapers qui descendent à la queue leu leu avec le minerai extrait. La montagne est pentue de tous bords. Bifurcation : l’ancienne route M41 qui longe la rivière est désaffectée. Obligation de prendre une toute nouvelle piste qui monte monte … obligeant à monter petit petit ! Terrible morceau : la piste est un ensemble de sable où sont insérés des cailloux durs ainsi que des cailloux roulants (sous les pneus). La montée est redoutable surtout que la circulation des voitures et des camions est zigzagante tout comme le bipède cycliste qui essaie de ne pas déraper et de trouver le moins mauvais itinéraire. La température se met de la partie pour atteindre encore 42°C. Je finis par être obligé de mettre le pied à terre - deuxième fois de tous mes voyages vélo ! - et, suant et m’accrochant au guidon pour maintenir l’équilibre et du vélo et du bonhomme, l’interminable piste daigne enfin radoucir sa pente pour arriver à un col sans nom. La descente de l’autre côté est vraiment très raide. Les véhicules patinent même et font sonner l’avertisseur pour qu’on les laisse passer … Je me pose longuement au col pour voir qu’il faut descendre tout au fond avec la piste routière qui en face (on est en montagne !) écharpe tout le flanc, longue piste pentue dont on n’aperçoit pas le col ! Compte tenu des efforts que je viens de faire, je me décide de trouver un coin pour passer la nuit et laisser à demain matin “à la fraiche” la grimpette de cet autre col.
Après une descente au frein, le fond du vallon est habité par des petites échoppes avec des chaikhanas qui vendent un peu de nourriture et des boissons (mais pas de bière …). Je demande un endroit pour camper. On me propose de passer la nuit à la belle étoile dans une chaikhana (sorte de petite terrasse de 3 m x 2 m avec plancher surélevé d’une soixantaine de cm qui pemet la consommation assis/allongé). Vendu. Je me décide à rester là à la belle étoile sur une chaikhana. Je prends un plov avec du thé, beaucoup de thé. Le dérailleur semble fonctionner. La béquille par contre ne supporte plus le poids du vélo.
Hôtel MEXMOHXOHA - …. 46 km +1900 m - 1500m 14°C - 42°C
Vendredi 25 août 2023 - Nouvelle piste, nouveaux cols, record de chaleur 43°C
Nuit sur le plancher d’une chaikhana tout contre un torrent très dynamique. Un café m’avait été promis mais à 6h tout est calme. Je pars l’estomac en demande et pour débuter un col dur. Les premières pentes sur une piste nouvelle donc pas trop tassée, sont ardues. Démarrer à froid fait vite monter la tension. Tenir droit le guidon n’est pas une mince affaire mais petit à petit après moultes virages la pente s’atténue et - miracle - le col est atteint. Finalement ce n’était pas si long ! Mais, montagnes russes, ça descend et on voit le versant opposé zébré d’une trainée blanche régulière. Ca continue et la montée recommence. L’intersection pour Tavildara arrive. Barrière, contrôle de police. Un signe de bras, je passe. Je pensais trouver un hébergement à Chumdon, à quelques kilomètres de l’intersection. Encore une fois, les pointages d’hébergements possibles (hôtel, homestay) indiqués sur Maps.ME se révèlent inexacts ou n’existent pas. C’est le cas à Chumdon, une cité apparemment récente avec plein d’immeubles à étages vides. Une épicerie donc ravitaillement en liquide. Je retourne vers l’intersection pour trouver un lieu où poser ma tente. Un espace arboré m’attire. Je m’installe puis vais voir le policier qui pointe et contrôle tout ce qui passe, pour lui demander de l’eau pour me laver les mains. Généreux il me donne de l’eau et un litre de Cola. Pas banal !
Chaikhana … - Labijar 53 km +1024 m -909 m 14°C - 43°C
Samedi 26 août 2023 - Piste cassante … peu de kilomètres
Camper avec 1 litre de Cola et 1 litre d’eau donnés par un policier, pas banal ! Réveil à 5h45. Café préparé avec l’eau chaude de la bouteille thermos, banane, et hop ! tente pliée, tout est retourné dans les sacoches. Départ 6h30. Le temps est pas mal, 14°C avec quelques voiles nuageux dans le ciel. Je roule, roule … mais je trouve que je suis un peu loin de la bifurcation vers Tavildara. De fait, je ne sais comment je me trouve rouler à l’envers vers … Douchanbé ! J’interroge deux automobilistes que j’arrête. Concordance : il faut revenir en arrière. Arrivé au carrefour, barrière de police. Passeport … tout est en règle (il ne veut même pas voir le permis spécial GBAO pourtant nécessaire et obtenu de haute lutte !!). Bitume terminé. La piste est toute cabossée, sableuse, caillouteuse et … pentue à souhait pour certains morceaux qui dépassent les 12% et me font terminer en poussant le Mulet. Montagnes russes pour s’enfoncer dans une vallée spectaculaire parcourue par un torrent tumultueux au débit impressionnant. La piste que je remonte petit à petit a quelques ressauts pour pédaler un peu plus tranquille. Les rares parties un peu planes sont occupées par des chèvres, des brebis, quelques vaches mais aussi sont des prairies avec le foin encore fraîchement coupé. Toujours quelques transhumances de brebis marrons, de chèvres encadrées par de beaux chiens et par des cavaliers. Qu’est ce que je suis lent ! A n’en pas douter monter des pentes à 7% - 12% et + ce n’est pas la même chose sur du bitume et sur de la piste avec des ornières éprouvantes pour le matériel et des cailloux qui roulent sous les roues. Tenir droit le Mulet n’est pas chose aisée. Un couple de français/allemand me croise, parti depuis deux ans ! Quelques maisons, et une buvette où je bois 1 litre de thé brûlant sucré ! Le pied quand il n’y a pas de bière. Arrêts photos. Des gorges au flanc desquelles la piste est taillée à pic (attention à ne pas suivre trop le bord car dans pas mal d’endroits les effondrements sont nombreux). Childara paraît être un bourg important … pas moyen d’y trouver un lieu de couchage. Je continue quelques kilomètres plus loin pour trouver un coin paisible pour installer ma tente. Il faut que je révise mes prévisions d’étapes car … encore aujourd’hui juste 48 kilomètres. Bon, le tout est de tenir le bon bout, de ne rien casser du matériel, de rester en forme correcte. Mais je n’ai jamais bu autant de ma vie ! …
Labijar - après Childara 48 km +970 m -645 m 13°C - 38°C
Dimanche 27 août 2023 - Pluie ! Courte étape …
Trois petits coups sur la toile de tente ! Les gouttes s’inviteraient-elles ? Pas de suite … J’ai le temps de tout ranger et de prendre mon café thermos, banane, biscuit. Après Childara, la vallée s’élargit, la pente s’atténue globalemment - mais avec tout de même quelques jolis coups de cul. Je remonte solitaire sans trop de bruit. Quelques rares véhicules passent. L’heure est encore matinale. La température est excellente pour pédaler (13°C). Poncho ? Pas poncho ? Ce ne sont encore que des goutelettes rafraichissantes. Le torrent est toujours impétueux, les versants toujours très raides, la piste parfois récente laissant entrevoir le vieux tracé mais qui s’est éboulé. Quelques maisons avec du bétail (chèvres, brebis, vaches) et … un “magazin” petite épicerie où je trouve du cola et une boisson dite énergétique que j’enfile cul sec.
Le ciel est très ennuagé. Les gouttes se font moins espacées. Tavildara approche, une bourgade assez grosse accessible par un pont dont l’entrée est surveillée par un policier. “Passeport” ! J’ouvre à la page du permis GBAO et … le policier le prend en photo (enfin il est utile !). D’après Maps.ME il y aurait au moins deux hôtels. Mais les deux sont fermés. La pluie commence à tomber continuement. J’arpente les quelques ruelles. Un tout jeune garçon joue avec un baton. Je lui fait signe et lui fait comprendre que je cherche un endroit où passer la nuit. De suite, il me devance pour entrer chez un voisin en train de ramasser des patates aidé de ses jeunes fistons. L’accueil est on ne peut plus agréable. On me propose de dormir sur une chaikhana puis on me porte une belle grosse galette de pain tout frais, puis un plov, une assiette de tomates, du lait caillé avec du miel maison, du thé ! La pluie redouble. Je pense que j’ai bien fait de m’arrêter. Le froid commence à se faire sentir. La polaire est enfilée. L’étape sera courte aujourd’hui !
après Childara - Tavildara 20 km +286 m -169 m 13°C
Lundi 28 août 2023 - Etape originale …
J’étais nourri et logé chez l’habitant à Tavildara. Il n’y a pas eu moyen de laisser un somoni !
Toute la nuit pluie avec tonnerre jusqu’à 3 heures. Au réveil, accalmie ! Mon hôte voulait me donner un pantalon long de peur que j’ai froid ! Je lui ai montré mon super pantalon long de montagne Millet, pas mal usé. En prévision, j’ai tout mis pour la pluie : surchaussures, poncho. Et c’est parti un peu inquiet tout de même car le ciel n’était pas purgé, et je devais m’engager dans la montée difficile du col de Kaburabot à 3250 m. La journée fut mémorable pour deux raisons au moins : je me trouvais dans les gorges après Kalai Huzein et tout d’un coup un éclair. Je compte les secondes jusqu’au roulement de tonnerre. Je n’étais pas fier du tout ayant déjà eu des expériences cuisantes. Il y avait de la marge car cinq secondes. Puis, très vite, une succession d’éclairs et j’était encore dans ces gorges rocheuses sur une piste qui avait les éboulements rocheux des pluies diluviennes de la nuit. L’écart entre l’éclair et les claquements n’était plus que moins d’une seconde donc risque imminent de foudre ou, plus vrai peut-être, risque majeur d’éboulements rocheux. La pluie tombait averse. Deuxième motif d’une étape originale : la boue ! Impressionnante, de la vraie argile qui se collait aux pneus, aux freins, aux sacoches, aux chaussures. Obligé de m’arrêter souvent pour nettoyer un peu les freins (photos à venir). Finalement, je finis par atteindre l’objectif que je m’étais donné : atteindre en gros 2300 m d’altitude pour demain passer le gros col de Kaburabot à 3200 mètres. Je suis à Safedoron la tente installé dans un container en compagnie d’un couple anglais. Le temps a l’air de se mettre au beau.
Tavildara - Safedoron 34 km +1080 m -194 m 13°C - 7°C
Safedoron belle étape pour camper !
Mardi 29 août 2023 - Etape reine !
L’étape d’hier pour accéder à Safodoron a cumulé des difficultés rarement rencontrées : pluies, éclairs, tonnerres dans des gorges rocheuses dont on ne voit pas la hauteur avec une piste caillouteuse pentue devenue torrent de boue où je devais crapahuter chargé à 50 kg. Le pied (!) de trouver un hébergement dans un … container ! Mais hier soir le mauvais temps s’en est allé. Je ne cache pas que j’étais quand même un peu inquiet car il faisait froid à 2300 mètres et je redoutais de la neige au col à franchir aujourd’hui.
La nuit fut une nuit de montagne un peu fraîche et un peu humide. Ce matin 5h30 debout, le café en poudre dans l’eau chaude conservée dans la bouteille thermos, banane, biscuits. J’ai pu un peu dégager la boue qui s’était collé aux freins, aux sacoches, aux surbottes et à mes chaussures.
Et c’est parti pour une journée exceptionnelle. La piste jusqu’au col de Kaburabot (3250 m) est beaucoup moins boueuse que celle des gorges. Il fait bon pour pédaler (3°C). La pente est assez régulière autour de 7,5% mais avec des coups de cul à au moins 12%. C’est alors que durant les 12 km qu’il me restait à monter jusqu’au col j’ai senti des faiblesses. Je soufflais comme un boeuf au point de poser le pied à terre plusieurs fois et de pousser le vélo. Pourtant la forme physique répondait bien mais … j’allais lentement. Des bergers avec chèvres et brebis … et chiens, étaient derrière leurs troupeaux poussant quelques cris, sifflant, toujours très souriant avec un geste de la main sur le coeur lorsque je passais à leur hauteur. A cette altitude, la forêt est dépassée, les estives sont immenses, le spectacle qu’offre la Nature est exceptionnel avec la neige tombée cette nuit sur les pics.
A force de pédaler, même lentement, la distance avec le col se rétrécit. On passe devant un bâtiment qui fait office de refuge puis, après quelques contournements vallonnées, là-haut je vois des abris pités sur ce qui semble être le col de Kaburabot. La pente s’atténue. Le col est bien là ! Paysage somptueux. Le tour d’horizon est magnifique au soleil qui s’est décidé à pointer et à chauffer dur (32°C). Deux jeunes bergers avec leur âne portent du fourrage.
Descente ! 2000 mètres de dénivellation négative. Descente au frein, l’oeil constamment aux aguets pour essayer d’éviter les trous. La piste côtoie des ravins sans fond. Les sacoches sont mises à rude épreuve. Pas de décrochage, pas de pneu crevé ou éclaté. Seuls les freins sont un peu justes mais il ne faut pas devoir stopper brutalement. Les ruches sont nombreuses en bordure de la piste, disposées très proches les unes des autres, de très grosses ruches avec parfois des entrées doubles. Ça bourdonnait énormément. Il ne fallait pas trop s’approcher. J’ai même vu des ruches étagées dans une remorque de camion.
Approchant de Kalaikum, la piste est devenue bitume. Quelle bonne surprise ! Kalaikum centre névralgique pour plus loin Khorog puis Murghab, à portée de voix de l’Afghanistan, début de la liaison routière Sud pour Douchanbe.
Fantastique journée, une étape reine, mais un souci personnel qui m’a fait monter très lentement en soufflant beaucoup autour de 3000 mètres me faisant penser à cet oedème pulmonaire qui m'avait obligé de redescendre d’altitude au Pakistan. J'ai toujours quelques séquelles.
J’ai pris deux nuits à l’hôtel Darvoz.
Safodoron - Kalaikum 44 km col Kaburabot 3250 m +758 m -1907 m 3°C - 32°C
un refuge tout beau !
Ouf ! le col ...
HLM de ruches !
Mercredi 30 août 2023 - Kalaikum, repos bienfaisant
Pas fâché de prendre une journée de récupération ! L'hôtel Darvoz où je suis est tout près du territoire Afghan. De la terrasse on voit maisons, piste afghanes. Pas d’âme qui vive à l’extérieur … Kalaikum est une cité qui semble apaisée. Les femmes sont en tenue traditionnelle mais pas de hijab. Les magasins sont nombreux le long de la route qui va vers le Sud vers Korhog. Un restaurant de bonne tenue au carrefour menant au col de Kaburabot : potage au boeuf, daube riz purée, café correct. Le soleil est revenu avec force mais aussi un peu de vent en rafales. Nuit reposante, petit-déjeuner copieux (deux oeufs, café lait, pain confiture miel fruit). Tout est là pour requinquer le cycliste un peu avachi mais aussi et surtout un peu inquiet des soudaines pertes d’équilibre et éblouissements très passagers mais réels. Sans doute ai-je tiré un peu trop sur la couenne depuis deux jours. Une décision : vu les soucis légers mais bien réels que j’ai eus avec les essoufflements hier vers l’altitude de 3000 mètres, compte tenu de mon antécédent d'oedème pulmonaire, je raccourcis mon itinéraire pour ne pas aller en plus haute altitude. Je verrais bien dans les jours qui viennent comment je serai. Un autre souci est d’ici 70 km environ l’interdiction pour travaux faite par les chinois (sur territoire tadjik !) de circuler durant une quarantaine de kilomètres dans la plupart des heures de la journée. Je ne suis pas arrivé à savoir si l’interdiction s'applique aux cyclistes.
Au fond, dans les périples un peu hors du commun en vélo ce n’est pas pédaler qui est le plus difficile ce sont toutes les tracasseries administratives (ici refus de visa, complications pour obtenir un permis spécial GBAO, interdictions diverses comme celle du passage au Kirghizistan qui a été levée pour les touristes en juillet 2023 mais qui supposait quand même un lettre formelle du ministre du tourisme du Kirghizistan …), et les interdictions de dernière minute à découvrir sur le terrain sans information sérieuse officielle…Tension nerveuse s’ajoutant aux multiples difficultés à affronter comme le problème de la communication, de la compréhension, voire de réaction très négative parce que vous êtes français (ça m’est arrivé en Cappadoce ce printemps et pas plus tard qu’hier à Kala Huzein). Peut-être que tout cela se répercute sur l’état mental d’un bonhomme et donc un peu aussi sur son physique ? On verra déjà demain si le bipède tient encore sur les pédales. Direction le Sud pour Khorog qui devrait être atteint dans 5-6 jours …. si les chinois sont d’accord ! …
Jeudi 31 août 2023 - La piste qui deviendra route 12 mètres !
Ce matin réveil à 5h30 pour essayer d’atteindre Kurgovad. L’harnachement du vélo avec les sacoches encore pas mal maculées de boue est délicat surtout que ma béquille ne sert plus. Le petit-déjeuner est servi par anticipation à l’heure “normale” de l’hôtel. Mais l’hotelier voulait m’aider à atteindre la zone de travaux de Kurgovad étant donné les consignes de fermeture glanées ça et là. La sortie de Kalaikum est une belle pente goudronnée qui se transforme rapidement en très large chaussée empierrée de 10 mètres et plus de large. Le jeu du saute-mouton est engagé. Le Mulet fait des sauts de cabri ! Et … ça va durer jusqu’à Kurgovad. A ne rien comprendre. En réalité les travaux sur la chaussée débutent à Kalaikum. Les chinois (et les tadjiks) veulent faire comme au Kirghizistan de Och à Irkestam pass une très belle route bitumée très large. Finie la traditionnelle Pamir Highway dans peu de temps ? Je remonte une belle et large vallée avec d’un côté l’Afghanistan, de l’autre côté le Tadjikistan. Quelques mouvements côté afghan mais des plantations très vertes (?). Côté tadjik, c’est … la poussière des véhicules que je croise. L’attention est à terre pour éviter les trous parfois énormes mais aussi les grosses pierres enchassées. Quelques rétrécissements obligent une très grande prudence lorsque camions et véhicules et … vélo doivent passer. Des tout petits villages subsistent lors d’élargissements de la vallée. Et c’est alors “hello !” le classique des voyages dans tous les pays que les enfants adorent toujours.
L’épisode travaux avec interdiction de circuler ne semble pas correspondre à la réalité. Un panneau notifie l’interdiction selon les heures entendues avec seulement un passage entre 12h et 13h. Un cycliste allemand venant en sens inverse m’a dit qu’il avait attendu une heure pour passer. Après le panneau pelles mécaniques, perforatrices, bulldozers, camions s’activent bien. Des ouvriers font la sécurité pour les passages. Je ne dis rien et roule doucement entre les engins. On ne me dit rien, et … quelques centaines de mètres plus loin, je sors apparemment de l’emprise des travaux. Le village de Kurgovad a une école conséquente qui doit réunir les enfants de plusieurs villages, un car est stationné. Une épicerie (magazin) est ouverte. Je m’équipe en boissons et cherche un lieu pour installer mon campement. Pas facile de se faire accepter ! Une première fois oui c’est possible mais plus haut … Une deuxième fois, un vaste plat avec quelques arbres … Je pose mon vélo, casse un peu la croute, fais un peu de sieste … Deux dames un peu plus loin semblent ramasser des fruits. Je demande si je peux installer la tente pour une nuit : Né ! Deux fois sans aucune explication. Aussi, … je fais comme si je n’avais pas compris et installe la tente.
Kalaikum - Kurgovad 56 km +750 m -495 m 14°C - 34°C
Vendredi 1er septembre 2023 - des travaux … un jeu de massacre !
Les moustiques étaient bien présents et ont bien profité du bonhomme. J’ai enfilé la tête dans mon filet antimoustiques mais les pieds ont été un menu de choix. J’étais surveillé par les bonnes dames qui m’avaient refusé de mettre la tente et le soir tard et ce matin de bonne heure. Un monsieur est arrivé ce matin mais s’est assis sur un rocher à 20 mètres de la tente. Un signe de la main de ma part, le monsieur a répondu de la même façon. Faut dire qu’hier soir ce monsieur est venu avec sa brouette dont la roue était dégonflée, et m’a demandé de la regonfler. Il était satisfait comme si je lui avais fait un cadeau extraordinaire !
Toute la soirée d’hier et cette nuit de très nombreux camions ont défilé. Sans doute les effets de l’interdiction de circuler ? De fait, les travaux d’élargissement de la piste sont continus comme je vais en être le témoin. Mais quel massacre ! C’est au minimum 12 mètres de large et souvent plutôt 25 m qui sont excavés à grands renforts d’énormes pelles avec des camions qui font la queue leu leu pour transporter les énormes blocs de rocher qu’il faut faire tomber des falaises de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Je n’ai fait que 30 kilomètres aujourd’hui mais j’ai les bras en compote tant il a fallu tenir le guidon qui s’échappait de tous les côtés les roues ne cessant pas de buter contre les gros cailloux. Infernal ! Avantage du vélo sur les voitures et les camions : j’ai pu passer partout alors que les véhicules étaient stoppés par la sécurité. Le Mulet était tout content de faire la nique aux grosses roues, pour une fois ! Il y a des secteurs où vraiment on a l’impression qu’on creuse des énormes parkings ! Tout cela, personne ne l’a jamais écrit sur internet, ventant au contraire la beauté des gorges et des hauts sommets. Un désastre que personne pour le moment ne dénonce ! Tout cela se fait dans des tornades de poussières de sable et d’argile.
Un poste de contrôle de police : faut vérifier l’autorisation GBAO. Le cagnard est toujours là 37°C quand même. Ce poste de police est au carrefour de la vallée de Vanch et de celle qui doit me mener à Khorog. Juste après le pont, des poids lourds sont garés. Ca sent le resto routier. Je m’informe. Bien caché, c’est bien un endroit où l’on peut boire, manger et même passer la nuit, et … se doucher ! Sacré étape, courte mais cabossée oh combien !
Kurgovad - Vahdat 31 km +492 m -380 m 15°C - 37°C
Samedi 2 septembre 2023 - Enfin la piste traditionnelle comme dans les livres
L’auberge routière de Vahdat a été bruyante jusque tard dans la nuit. Des cellules à trois lits, une salle de bain minuscule pour tout le monde … la nuit a été courte. Ce matin, à 5h30 je plie bagage. Montée d’échauffement pour très vite poursuivre une piste avec de temps à autre des morceaux asphaltés qui reposent. Il faut reconnaître que c’est le versant afghan qui présente les cartes postales paysagères les plus esthétiques avec des ensembles bâtis carrés en pierre sèche entourés d’espaces cultivés très verts qui épousent les ondulations du terrain. Le versant rive droite est plus une succession de masses rocheuses cyclopéennes qui … n’ont pas (encore) vu les engins destructeurs à l’oeuvre. On avance assez bien dans un labyrinthe qui fait apparaître de temps à autre des clochetons rocheux saisissants par leur forme élancée. Ah ! une équipe à l’allure très asiatique inspecte casque sur la tête, cahier ouvert, chef à l’oeuvre avec son équipe inspectant les formes rocheuses qui devront tôt ou tard subir les foudres des engins grattant, évidant, dynamitant pour “améliorer” les facilités de passage des double-camions des nouvelles routes de la soie. L’avenir de la Pamir Highway est-il déjà écrit ? sans compter l’accès à l’Afghanistan ? En attendant, on rencontre encore des petits villages qui vivotent probablement avec quelques vaches, des chèvres, des petits troupeaux de brebis. On fait le regain en ce moment avec une faucille à manche long que coupent accroupis l’homme et la femme ensemble sur des petites surfaces. Des véhicules sont garés : signe de la présence de “magazin” (épicerie) ou, mieux, de possibilité de manger un bout. J’en profite pour manger une assiette de daube de boeuf - frites bien grasses avec la boisson Gorilla qui est très prisée ici, et qui est assez agréable.
La piste continue de longer la rivière Panj qui fait frontière. De l’autre bord les afghans et les afghanes sont dehors, les dames accélérant le pas sentant que j’essaie de les photographier. Après Deh, une gorge nouvelle aux versants rocheux immenses. Une auberge semble être là. J’interroge : oui je peux mettre ma tente et manger ce soir. La jeune femme qui vit là avec sa soeur, son mari, ses deux petits enfants, me fait comprendre qu’à l’école il n’y a plus d’enseignant car pas de candidat. Ils sont payés 500 somonis par mois (50 euros !). De l’autre côté de la “route” une très belle source apparemment très prisée - beaucoup de véhicules s’arrêtant pour remplir des bouteilles. C’est là que je me pose pour aussi un brin de toilette en plein air.
Vahdat - après Deh 42 km +532 m -357 m 14°C - 37°C
Dimanche 3 septembre 2023 - La piste cabossée devient un peu meilleure
Maigre petit-déjeuner ce matin juste un peu de café et deux biscuits. La tente est pliée et je file à 6h. Peu après, un parc de camions avec un resto routier … J’étais mieux près de la source à la bonne eau ! Les montagnes de l’Afghanistan sont comme des épés pointées vers le ciel. Les rondes militaires côté Tadjikistan se font avec cinq à six hommes armés espacés d’une trentaine de mètres et qui marchent sur la piste. Un salut au passage. Côté afghan, je n’ai pas vu de surveillance équivalente. On longe toujours la rivière Panj qui coule toujours de manière très tumultueuse avec des eaux marron-gris, mais qui en amont forme des lacs de grandes surfaces. La piste est toujours très dure. Le vélo saute beaucoup. Un petit bruit nouveau … j’ai le gardeboue avant qui se décroche. Arrêt express. Clef allène de 6, un peu de loctite sur l’écrou, clef plate de 10 et tout se remet en place. Les sacoches sont encore et toujours bien arrimées. Le passage des doubles-camions venant de Khorog tout comme celui des 4x4 à vive allure me badigeonnent de poussière. La vallée s’élargit, le lac de la rivière Panj se perd à l’horizon. Pas mal de paysans sont dans les champs - très réduits - et coupent l’herbe en faisant des andins avec les mains (sans rateau). Une moissonneuse crache la paille. Mais la vie agricole reste très limitée. Rushan n’est plus bien loin, une probable petite ville. A l'entrée de Rushan j’avais repéré une auberge appelée Mobarak qui avait de bons avis sur internet. Elle est signalée sur un panneau routier à droite, une demeure en apparence cossue au milieu de champs et de potagers. L’accueil est bon avec une maman et son petit conduisant une auto de gamin. Je suis le seul client. Enfin une douche qui va faire du bien après ces journées de poussières. J’ai pu avoir une soupe et … même une bière ! La chambre est correcte mais … avec de sales petits moustiques qui vont poursuivre le travail déjà commencé par leurs copains d’hier sous la tente. Demain, peut-être vais-je atteindre Khorog ? Tout dépendra encore de l’état de la piste. Le bonhomme est encore en état de pédaler. J’espère que le Mulet, matraqué comme il a été depuis Duchanbé aura à coeur d’arriver à bon port. Car c’est décidé je termine mon périple à Khorog pour deux raisons : le planning que j’avais prévu était trop optimiste, j’ai pédalé plus lentement que prévu. Mais la deuxième raison est majeure : vu l’essoufflement ressenti lorsque je pédalais à plus de 3000 mètres, je ne veux pas me trouver en conditions pires puisqu’une partie de la Pamir Highway jusqu’à Murghab se déroule au-dessus de 4000 mètres. Vu mes antécédents d’oedème pulmonaire consécutifs à un MAM (mal aigü des montagnes), je préfère éviter de me retrouver avec des essouflements qui pourraient avoir des effets plus graves.
Après Deh - Rushan 48 km +526 m -260 m
Lundi 4 septembre 2023 - Khorog se mérite … quelle piste défoncée encore !
L’auberge Muborak de Rushon est tenue par un sympatique jeune couple avec deux enfants. Mais le bâtiment a visiblement connu des malfaçons avec un manque d’entretien. Alors qu’il était convenu que j’aurai un petit déjeuner à 6h, j’ai dû partir à jeun n’ayant pas voulu réveiller la maisonnée. Il faut traverser Rushon tout en longueur pour suivre la piste - au départ bien asphaltée - qui part vers le Sud s’enfoncer dans une succession de gorges avec toujours l’Afghanistan comme vision paysagère la plus immédiate - la vision première étant celle des trous, des blocs à éviter, des bosses à anticiper. Un point de contrôle de police : une frayeur, je ne trouve plus le passeport à sa place habituelle ! J’ai dû le laisser à l’auberge … 15 km pour revenir … mais la sueur froide est passée, le passeport était bien dans la sacoche guidon. Le policier a fait une drôle de tête lorsqu’il a vu que je ne trouvais plus le césame pour le Pamir. Tout finit bien.
Je croque quelques noix de cajoux qui restaient au fond de la sacoche guidon (véritable sac fourre tout). Les trous dans la piste sont de plus en plus profonds. Toute l’attention est là, les yeux rivés sur les passages les moins mauvais à prendre. Incroyable cette succession d’embûches qui doivent être franchies. Au fur et à mesure des kilomètres, le couloir valléen que l’on remonte en longeant la rivière Panj frontalière, devient un peu plus habité avec des prés aux surfaces plus élargies que l’on fauche ici non pas à la faucille mais à la faux à l’ancienne. Je croque les quelques biscuits qui me restent, finis la bouteille de Cola, active mes neurones les plus dynamiques pour atteindre mon but ultime de pédalage.
La surveillance militaire est continue côté tadjik avec quelques casernements bien ceinturés de hauts murs rehaussés de barbelés. Un hélicopère militaire survole les lieux aux limites de l’espace aérien frontalier de l’Afghanistan. La vallée s’ouvre maintenant, très large. Khorog approche. Des gens font du stop devant l’aéroport. L’avion quotidien reliant Douchanbé est supprimé. On entre en ville. La transition est très rapide. On n’est plus suant et soufflant sur la piste, on est en ville à faire attention aux queues de poisson des petits taxis de ville s’arrêtant à la demande. J’ai décidé de trouver le Pamir Lodge, le rendez-vous des touristes du Pamir un peu spéciaux comme moi. Situé sur les hauteurs, le Pamir Lodge se mérite par une dernière montée terrible pour le cycliste surtout qu’il se fait corner par les taxis qui veulent passer alors que la chauss&e est étroite et … le cycliste peste et doit s’arrêter pour laisser passer. Bref, du classique tout ça ! L’accueil au Pamir Lodge est plus que sympathique. Confort d’auberge mais avec serviette de bain, savon neuf, salle d’eau privée. C’est sommaire mais propre dans un cadre de verdure avec plein d’arbres fruitiers. Les pommiers ploient sous les fruits. Un café resto ? Zubaida la gérante m’indique le café Chimio à 5 minutes. Gratis le café - qui n’est pas expresso - Je reviens pour diner : une ambiance boite avec musique à fond et danse locale, narguilé. Je prends une pizza margarita avec bière : récompense pour clôturer ce parcours sans fin chaotique !
Rushon - Khorog 67 km +470 m -315 m +13°C +24°C
Mardi 5 et mercredi 6 septembre 2023 - Dushanbe, retour impressionnant
Khorog est une cité tranquille. Les gens dans la rue sont plutôt polis - ils saluent souvent. Mais une observation m’a toujours intriguée au cours de ce périple : beaucoup d’hommes et de femmes dans les rues ou sur les pistes qui … discutent. Beaucoup de petits groupes d’hommes (et de femmes dans une moindre mesure) le plus souvent accroupis et discutant, refaisant le monde probablement. L’entraide est remarquable de l’aide aux pannes sur les pistes à l’indication du magasin pour un produit que l’on cherche. La vie semble ralentie. Effet chaleur ? Etre français c’est bien sûr vivre à “Pariss” avec la tour Eiffel à son balcon (une miniature imposante néanmoins a été reproduite aux environs de Kalaikum).
Mardi fut une journée de repos total avec pour seul objectif de trouver un moyen pour que je revienne à Dushanbe. Les gérants du Pamir Lodge - les époux Saïd et Zubaldia - sont à la fois prévenants et très à l’écoute des besoins des gens pour leur trouver une solution. No problem ! Taxi pour la capitale tous les jours avec soit taxi partagé (mais taxi compliqué car nécessitant de se rendre de nuit au parking près de l’aéroport à 6 km) soit taxi personnel qui vient vous prendre au Pamir Lodge et vous déposer à la résidence indiquée à Dushanbe. La dernière solution a été la solution choisie en raison tout particulièrement de la distance (635 km) et des quelque 350 kilomètres de piste exécrables de Khorog à Kalaikum : départ pour Dushanbe mercredi 7h.
Le toyota landcruiser se pointe mercredi matin à 6h30. Les sacoches sont posées en premier sur le porte bagage du toit puis le vélo par dessus, le tout serré au maximum avec une longue sangle étranglant judicieusement le cadre pour éviter tout mouvement lors des sauts de cabris que même un gros toyota est obligé de subir sur la piste infernale.
Je n’en reviens pas de parcourir haut perché sur un vaisseau du désert qui donne l’impression d’être presque sur un tapis roulant, les quelque 350 km de piste vers Kalaikum : festival de poussière, rebondissements interminables, à coups droite et gauche pour gérer au mieux la trajectoire, éviter les trop grands trous et les blocs en relief … et … à l’avant sans ceinture de sécurité qui était hors service donc me tenant des deux mains aux deux belles poignées presque sous le nez du passager avant (merci toyota !). Si je ne l’avais pas remonté en vélo j’aurai dit que c’est une folie de braver ainsi ce long ruban presque blanc (de poussière) en raison principalement des travaux de titans qui transformeront cette partie de M41 entre Kalakum et Khorog en probable vraie très grande route parfaitement asphaltée aux prix de destructions massives rocheuses.
Kalaikum passé, un petit salut à la tour Eiffel toute blanche. La route est large, roulante. De temps à autre quelques portions non bitumées. C’est la route du Sud pour Dushanbe alors que, en vélo, j’ai pris la route du Nord par le col de Kaburabot (appelé encore col de Tavildara 3250 m). On est dans l'après-midi avec le soleil descendant. Les paysages afghans montagneux et très ouverts sont lumineux. On longe toujours la rivière Panj qui fait frontière (avant de constituer l’Amou Daria). Le cumul des dénivellations de montées et de descentes est presque exténuant même pour le gros moteur 4 litres atmosphérique 6 cylindres du gros Toy dont une des courroies s’est mise à siffler. La nuit arrive lentement. Cette route du Sud est récente tout comme le barrage hydroélectrique près de Kulob. On a l’impression que la route nouvelle a favorisé et a entraîné la construction de nouveaux villages le long de cet axe, avec des signes extérieurs de richesse qui surprennent dans cet ensemble géographique apparemment très rural.
Et puis …
De Khorog à Kalaikum deux contrôles de papiers : passeport et GBAO. Pas de souci. En revanche après Kalaikum quatre contrôles de papiers dont les deux derniers étaient juste pour graisser la patte aux policiers. J’ai vu mon chauffeur de taxi donner de l’argent et ..., m’a-t-il dit, c’est la corruption habituelle ! Du jamais vu de mes yeux. 100 mètres après le dernier “contrôle” arrêt par l’armée cette fois avec copie du passeport. Il faut dire qu’on est tout proche de la frontière afghane et des patrouilles pédestres surveillent en permanence la piste afghane qui longe le Panj.
La nuit est tombée. Plus d’asphalte. Mais … des engins de chantier sans aucune signalisation arrêtés à peine visibles et qui obligent à des écarts sur la partie de chaussée d’en face, des tas de sable versé par les camions autant de gros tas d’une dizaine de mètres cubes alignés les uns derrière les autres sans aucune signalisation, des cyclistes sans aucune lumière, une dame tirant un veau dans le noir au milieu de la chaussée, des voitures et camions venant en face avec des éclairages mal réglés ou borgnes ou gardant les plein phares, et … dans le noir au beau milieu de la chaussée tout d’un coup une ânesse et son petit, enfin sur les portions asphaltées aucune peinture blanche pour indiquer les bords de chaussée et les bandes médianes. Il y a des progrès à faire ! On est quand même arrivé à bon port à Green House hostel où j’ai laissé mes vêtements de retour et le carton vélo. Dure journée … même sans pédaler !
Pamir Lodge (Khorog) - Green House hostel (Dushanbe) 635 km taxi
... et dire que tout ça je l'ai parcouru à vélo ! ... un peu basque .. certainement !
Vendredi 8 Samedi 9 septembre 2023 - Rencontres
Green House hostel est très cosmopolite. C’est un lieu sans chichi. Chacun peut faire à peu près ce qu’il veut de la préparation de sa propre nourriture au démontage de vélos et de motos. Beaucoup d’employés tiennent en permanence la balayette, donnent à manger aux multiples chats, nettoient la vaisselle, passent le chiffon sur les meubles. Comme partout, on se déchausse pour entrer dans le logis surveillé par Murodzhon le gérant à la tour de contrôle informatique. C’est un fouillis apparent d’activités diverses en réalité bien surveillé.
Dans la cour intérieure, on discute, on parle fort, les moindres allées et venues sont épiées et commentées dans toutes les langues avec une domination de l’anglais. En fait, beaucoup de clients sont polyglottes. Une ruche étonnante. On échange les dernières informations sur les itinéraires du Pamir, sur les autorisations à obtenir mais ce qui est marquant c’est le peu de cas des possibles questions (importantes) qui pourront se poser, par exemple pour ceux qui veulent passer du Tadjikistan au Kirghizistan la lettre du ministre du tourisme du Kirghizistan exigée mais qu’on n’a pas. Tout se déroule - pour les cyclistes - avec le principe : on verra bien …
C’est ainsi que j’ai pu rencontrer un papi qui a la bougeotte des voyages avec lequel on a pu partager sur le Burundi, le Rwanda, le Kenya mais aussi sur la clairette de Limoux, un néo-zélandais allé au volcan Bromo en Indonésie et qui m’a offert une bière pour me consoler du match de rugby que les français devaient nécessairement perdre contre les Black, un français de Maubourguet dans les Hautes-Pyrénées acrobate de cirque qui est parti à vélo pour un tour du monde et qui m’a remis une caméra à porter en France, qui a fait un site you tube où il met les montages de videos qu’il réalise, un allemand lui aussi cycliste qui va bientôt se marier avec une camerounaise, et dont le métier est de piloter une équipe qui a monté un système de service de mobilité automatisé sous forme de shuttle, un suisse qui a pédalé depuis son pays qui retourne prestement (en avion) pour mettre son plus bel habit pour un mariage … Mais aussi, c’est l’occasion de s’entraider pour réparer : avec les chaos des pistes, même les fixations des sacoches Ortlieb arrivent à lacher. J’ai réparé pour un copain qui s’escrimait à scier avec un bout de scie à métaux de 10 cm en remplaçant les rivets défaillants par boulons-écrous 6 mm mais avec de la loctite (bleue) que j’avais emportée qui renforce les fixations.
Le billet de retour a été changé à l’agence de Turkish Airways de Dushanbe pour un vol Istanbul à 3h le samedi 9 septembre et un deuxième avion pour arriver à Lyon à 18h30 le même jour.
Bilan Dushanbe – Khorog
C’est le tracé préalable à la montée sur le plateau du Pamir. Itinéraire d’environ 600 km dont 500 km de piste.
D’après ce qu’on peut lire dans les récits, ce tracé serait un prélude de quelques jours pour le plateau du Pamir par la route du Nord avec passage du col de Kaburabot ou de Tavildara à 3250 m..Le bilan du parcours que j’ai réalisé est une mise à jour des conditions et de l’intérêt de cet itinéraire.
Ce que mon parcours m'a enseigné :
- Le permis spécial GBAO pour aller dans le Pamir peut être demandé avec le visa électronique (e-visa) : je l’avais obtenu en 2021. Pour 2023, le visa avec GBAO selon la même procédure m’a été refusé deux fois sans possibilité de remboursement avec impossibilité de connaître le motif du refus « We do inform you, that in accordance with the Governmental law, the reason for the cancellation/rejection of the visa request is not explained » (
- Je tiens à souligner le très bon accueil de deux classiques pour les cyclotouristes : le Green House Hostel à Dushanbe et le Pamir Lodge à Khorog.
- Un très gros point noir : les 250 km de piste entre Kalaikum et Khorog sont émaillés de travaux titanesques réalisés avec les Chinois pour, à terme, transformer la M41 (piste actuelle) en très large route. Ces travaux transforment la piste en un gigantesque toboggan de trous, de bosses, de poussières du fait des travaux de terrassement et de minage, et du fait des nombreux passages de camions venant notamment de Chine. Dans les conditions actuelles, le parcours à vélo transforme le voyage pour cette partie de Kalaikum à Khorog en un défi « sportif » sans grand intérêt.
- Avec une charge un peu lourde (de l’ordre de 50 kg), j’ai mis plus de temps que prévu avec la chaleur, la pente, l’état de la piste. Deux étapes majeures sont très belles : de Tavildara à Kalaikum avec campement à Safedoron et passage du col à 3250 m. A souligner le passage dans les premières gorges très resserrées après Tavildara où j’ai eu très mauvais temps avec tonnerre et pluies transformant la piste en un torrent boueux et argileux.
- La montée au col aux alentours de 3000 mètres a réveillé quelques symptomes (respiration difficile, équilibre …) liés à l’oedème pulmonaire que j’avais eu au Pakistan. C’est le motif majeur qui m’a fait écourter le périple que j’avais envisagé, redoutant des effets négatifs plus graves lors de la montée à plus de 4000 mètres sur le plateau du Pamir.
Au total, en l’état actuel de la portion Kalaikum - Khorog (250 km), la partie Dushanbe – Khorog ne présente d’intérêt que de Tavildara à Kalaikum (82 km).
Cappadoce 2023
La Cappadoce est une région volcanique de l'Anatolie centrale dont les cendres durcies ont constitué le tuf, une formation friable qui, du fait de l'érosion et de la présence de blocs rocheux erratiques, a fait naître les cheminées de fées, et a permis le creusement de nombreux habitats troglodytiques, lieux de refuge au cours de l'Histoire notamment lors des persécutions chrétiennes aux premiers siècles de notre ère.
C'est aujourd'hui un haut lieu du tourisme mondial avec notamment la pratique journalière très prisée de vols en montgolfières. La balade que j'envisage est, dans une première phase, une combinaison vélo, randonnées pédestres dans les vallées les plus spectaculaires (Ihlara, Amour, Blanche, Pigeons, Rose, Rouge), et si possible vol en montgolfière (Gorème), et dans une deuxième phase un parcours vélo par le Sud avec deux bosses au-dessus de 2000 mètres.
L'itinéraire réalisé a été modifié pour tenir compte de la neige. Je suis passé plus au Sud de Nigde. Je mets ci-dessous la carte de l'itinéraire prévu et, dessous, la carte de l'itinéraire réalisé avec les points GPS de la balise satellite Garmin Inreach mini :
(Points GPS de la balise satellite Garmin Inreach mini)
Lundi 17 avril 2023 - Préambule avec toujours quelques surprises …
Après quelques jours passés chez mes enfants, départ aujourd’hui pour la Cappadoce. Mon fils Thomas fait le chauffeur avisé dans les embouteillages de la rocade de Toulouse. Arrivée tip top après quelques ruses pour ne pas trop ramer dans les flots de véhicules. Le vélo est impeccablement emballé dans un carton Orbea. L’enregistrement est fait rapidement après moultes vérifications du poids, du paiement, de la destination. Le passage à la sécurité reste sous la grande vigilance des agents de sureté. La patrouille militaire scrute les moindres recoins. Ma sacoche cabine a été inspectée deux fois peut-être du fait du nombre d’instruments électroniques qui s’y trouvent : phare avant, compteurs, tablette ordinateur, batterie tampon, chargeur, capteur solaire, appareil de photos, balise satellite … Toute la panoplie du parfait électro-cycliste !
Le premier avion pour Istanbul est plein comme un oeuf (de Pâques !) avec entre autres quatre moines boudhistes. Vol sans encombre. A l’arrivée, il ne faut pas se tromper d’embranchements car la Cappadoce est en Turquie et donc il convient de prendre la filière vols domestiques. Bien sûr, je me trompe. La préposée au tampon sur le passeport me prend en photo, appose le césame qui permet d’entrer en Turquie mais … me refoule en voyant que je prends l’avion pour Konya. Je détricote les multples aller-retour qui me remettent dans le grand hall et file vers la bonne sortie. Où est le vélo ? …
Des tapis roulants sans fin … Devant moi une fillette se coince le pied à la sortie du tapis. Pas moyen de se décoincer ! Heureusement ce n’est que le lacet défait qui la rend prisonnière. Un coup sec de ma part et le lacet se coupe. Libérée … mais pourquoi donc ces longs lacets non noués ? …
Les vols domestiques partent de l’ancienne aérogare. Hall 7B. L’avion est annoncé mais … d’abord avec 20 minutes de retard puis 40 minutes … L’airbus A320-200 finit par se pointer. Je piste les bagages mais rien pas de chariot visible. Je me fais à l’idée que le vélo ne sera pas à Konya aujourd’hui. Au bout d’une heure l’embarquement commence. Une vieille dame marche en brinquebalant ses jambes lentement. Derrière, les hommes renaclent un peu trouvant qu’elle fait bouchon. Je leur bloque le passage dans le toboggan qui mène à l’entrée de l’avion, aide la vieille femme à franchir la marche pour entrer dans la cabine. Etonnants ces comportements que j’avais déjà observés en Asie où la moindre attention et le respect des plus faibles ne semblent pas faire partie de l’élémentaire culture de base de la vie sociale ! Tumultes dans l’arrière de l’avion plein. Un couple avec un petit enfant est contraint de sortir : sans doute une erreur. Mais la maman fait savoir haut et fort son mécontentement.
Va-t-on finir par décoller ? … Alerte bagages ! Contrôle de tous les bagages cabines ! Arrivé au tiers des bagages de l’avion, l’alerte cesse. Et … l’Airbus finit par prendre la voie des airs. Il fait nuit noire. L’atterrissage à Konya est long. Le tracteur qui emmène les bagages a dans le dernier chariot un énorme carton zébré de collants ! C’est le Mulet ! monté je ne sais comment dans la soute. Yasar, l’hôtelier qui est venu me chercher a une petite fourgonnette alors que bien sûr il m’avait certifié “no problem” … On finit par pouvoir fermer les portes avec le carton sur la tête …
Mardi 18 avril 2023 - un début d’accoutumance …
Repos un peu bruyant (la nuit ça … roule plus qu’à … Eysus) mais réparateur des tensions de la veille (vélo arrivé ou pas arrivé, avion toujours pas là une heure après l’heure affichée, passagers en surnombre, double contrôle des bagages cabine sans motif annoncé alors qu'on avait déjà plus d'une heure de retard… Petit-déjeuner à la turque (un peu sommaire et … sans tartines grillées ni jus de fruit). Bon, c’est le ramadan.
Ce matin, un peu de boulot pour … remonter et vérifier le vélo, trouver une station d’essence pour faire le plein du réservoir du réchaud, gonfler les pneus à 3,5 bars (avec la pompe à main, on n’arrive pas à cette pression pourtant nécessaire en raison du chargement), acheter quelques provisions de route (bananes, pommes, biscuits, fromage, coca-cola 1,5 litres - seul volume adapté à mon porte-bidon, eau minérale pour potage et café du matin, repérer la sortie de Konya pour demain matin (qui est une ville relativement importante avec pas mal de routes à quatre voies qui se croisent et qui a un réseau tram-train), acheter une carte sim du pays afin de pouvoir, sans accès au wifi, trouver du réseau pour à la fois communiquer par téléphone et sms Watsapp, mettre mes textes journaliers sur le site, me repérer avec les applications cartographiques Maps.Me, Google Earth, Google Maps, et … trouver un moyen de manger un peu en attendant le repas du soir à l’hôtel Domesan. Et … changer de l’argent !
La succession des opérations s’est déroulée sans difficulté comme si la Turquie voulait m’apprivoiser un peu. Ce qui a retenu mon attention : un réseau routier urbain très développé mais avec des quatre voies sans beaucoup d’entretien sur les autres voies secondaires, sur les trottoirs (beaucoup de trous et de bosses piégeuses), détritus pas mal éparpillés, des tram-trains qui circulent fréquemment avec même une rame rouge sang, sans vitres, spécialement dédiée aux … bicyclettes (photo à venir), un gros ensemble commercial qui est le repère pour tout acheter (trouver une carte sim locale … mais bien sûr on trouve ça à Kent Plaza !). J’ai trouvé un magasin qui vendait des morceaux de quiche fourrés aux … pâtes (excellent pour caler le cycliste !) et un double café filtre qui a fait du bien.
*
Le muezzin a chanté une fois vers 16h30.
Journée de première adaptation pas passionnante mais nécessaire pour découvrir au mieux la Cappadoce qui, selon les personnes que j’ai déjà rencontrées, se trouve plus à l’Est. Alors, demain cap à l’Est. Le Mulet s'impatiente …
Mercredi 19 avril 2023 - Sultanhani cité du vent ?
Les petits yeux se sont ouverts tôt ce matin grand jour de départ avec le Mulet harnaché de tout le confort pour voyager. Les sacoches sont raisonnablement pleines de l’essentiel. Petit-déjeuner un peu avant 7h. Départ casqué, balisé, un quart d’heure après. Je pensais que dès la sortie de Konya, la circulation se ferait sur une route à deux voies. Que nenni, ce fut des quatre voies durant la centaine de kilomètres qui m’ont fait rejoindre Sultanhani où j’avais identifié un camping dans le centre.
Malgré la précaution d’hier (où j’avais repéré la sortie de la ville), j’ai poursuivi une quatre voie après l’aéroport. Demi-tour au plus court donc en remontant à l’envers sur le bas-côté et en traversant par la bande de terre-plein central pour la “bonne” quatre voies. Tout le long, une belle voie de dégagement (en fait une bande latérale d’urgence) m’a permis de circuler tranquillement avec cependant pas mal de graviers et de pièces métalliques, de pneus éclatés, deux chiens écrasés mais … pas de trous.
Tout le long, c’est … la négation du paysage ! Ce sont des immensités de terrains plus ou moins délaissés sans bosquets, sans haies (sauf une petite parcelle où l’on a planté des petits sapins enfermés à l’intérieur d’une clôture), avec de temps en temps des immensités bétonnés, sans village traversé. Trois troupeaux de brebis, de nombreux systèmes d’irrigation avec des cracheurs incitent à penser que l’on y fait des grandes cultures de céréales. Vision à l’infini de part et d’autre de l’axe routier. Le vent tourbillonnant m’a accompagné mais est devenu très mordant jusqu’à renverser le vélo (lors d'un arrêt). Des rafales qui m’ont fait penser à la région la plus terrible pour les rafales … la Patagonie. Du vent donc pas de pluie.
Je suis accueilli par Mustapha au Camping Kervansaray qui me propose repas ce soir et petit-déjeuner avec des heures compatibles avec le ramadan. Sultanhani est assez visité par les touristes du fait de l'existence d’un caravansérail très ancien (XIIIe siècle) qui fut, d’après l’information lue, le plus grand de la Turquie. L’ensemble a été "restauré", se visite pour parcourir des suites de pièces vides où l’on a installé des radiateurs (?) de chauffage, avec une immense salle profonde constituée de cinq travées délimitées par quatre lignes de piliers de pierre où sont accrochés des tapisseries originales.
Konya - Sultanhani 106 km 10°C - 27°C avec localement 31°C +281 m -340 m
Jeudi 20 avril 2023 - Ihlara et sa vallée : la Cappadoce commence !
Cette nuit sous la tente a été un peu bruyante en raison du volume sonore donné au muezzin mais aussi aux aboiements des chiens. J’en avais un qui m’a gardé toute la nuit couché à la porte de la tente ! Mustafa, le papa gérant du camping, était très content de m’avoir préparé un dîner maison hier soir et surtout de voir le cycliste français équipé de la sorte. Nous parlions un anglo-français … efficace pour se comprendre.
La fraîcheur matinale était encore là (5°C) tout comme ma grande solitude sur la quatre voies où je n’ai jamais rencontré un bipède pédalant. Confirmation aujourd’hui encore d’une exploitation agricole très intensive et irriguée avec des ensembles jumelés d’énormes silos à grains.
Mais … attention à ne pas faire trop confiance aux panneaux de circulation. Je suis allé trop loin pour prendre le bon embranchement à Aksaray. Les panneaux sont conçus pour favoriser certains itinéraires afin d’éviter des engorgements. J’ai fait non pas tant de kilomètres en plus que des montées musclées suivies d’autant de descentes pour rejoindre la route qui mène au village d’Ihlara, lieu de départ/arrivée de la vallée du même nom.
L’arrivée par la route à Ihlara se fait par des côtes longues et pentues qui obligent à rouler petit petit. Je ne me suis pas méfié mais le soleil combiné au vent m’a bien mordu les cuisses et les bras.
Enfin, dans les quarante derniers kilomètres j’ai commencé à voir un vrai paysage avec quelques petits villages, des paysans avec de petits champs, et … les lointaines montagnes enneigées du volcan Hasan (3253 m).
Akar, petit hôtel simple, sera mon gîte pour les deux nuits qui viennent. Car demain le vélo se repose : je fais la descente/remontée de la renommée vallée d’Ihlara. Ca y est, j’ai gagné la Cappadoce.
Sultanhani - Ihlara 91 km 5°C - 21°C +685 m -321 m
Vendredi 21 avril 2023 - Ihlara, vallée refuge …
Aujourd’hui journée à pied. La vallée d’Ihlara est une originalité renommée pour le tourisme en Turquie. Comme toute la région de Cappadoce elle fut le lieu de refuge des premiers chrétiens persécutés qui explique les constructions souterraines dont des villages entiers avec plusieurs niveaux de communication. Toutefois, la vallée d’Ihlara est encore une originalité naturelle avec un profil de canyon défendu par de puissantes falaises. Au creux de la vallée coule le tumultueux torrent Melendiz. C’est du village Ihlara en amont que je suis parti. Accéder au départ est un petit jeu de piste. Aujourd’hui, c'est vendredi, donc tout est fermé, et c'est la fin du ramadan. Le guichet d’entrée où il faut acheter un ticket est sans âme qui vive. Je descends rejoindre le bord du torrent assez impétueux pour suivre un large cheminement qui bientôt croise les premiers “trous” dans les falaises lisses ocres, les refuges troglodytes. Le cheminement se fait facilement jusqu’à plusieurs croisements où des panonceaux indiquent les divers lieux de prières que l’on peut approcher et, pour certains d’entre eux, pénétrer. Dans tous les cas, il faut gravir des escaliers en bois assez raides mais qui sécurisent bien le parcours. Arrivé à l’entrée un panneau explique ce que les historiens ont compris et de la construction par creusement et de l’utilisation qui en fut faite. Ces “églises” ont des peintures sur les parois et sur les voûtes qui ont été très abimées par le temps et/ou par les hommes. J’ai pu grimper voir Egritas Kilisesi, Kokar Kilisesi, Dark Castel Kilisesi, Jacinth Kilisesi, Snake Kilisesi, Karagedik Kilisesi, Kirdamalti Kilisesi, Direkli Kilisesi, Purenli Kilisesi. On imagine mal l’énorme travail de creusement de ces lieux de vie qui devinrent pour certains des nécropoles dont on voit encore les vasque creusées d’inhumation qui contenaient les corps (photos …).
La descente depuis Ihlara, je l’ai faite principalement par la rive droite du torrent Melendiz de façon à revenir par sa rive gauche après être arrivé au village de Belisirma. Que c’est agréable d’entendre le bruit permanent du torrent, les nouveaux chants d’oiseaux auxquels je n’étais pas habitué, de voir de grosses grenouilles s’appeler et se répondre, de surprendre un carabe au bleu étincelant que mon ami Claude m’aidera à identifier (Procerus scabrosus).
La remontée de la vallée par la rive gauche du torrent Melendiz débute au village de Belisirma par un gigantesque capharnaüm de marchands d’oranges pressés, de souvenirs de pacotille, un énorme parking pour véhicules dont les petits bus qui font la navette entre Ihlara et Belisirma. A la différence de la rive droite, l’affluence devient parfois difficile à supporter toujours pour des questions de politesse : dans les passages étroits on laisse passer en général mais c’est sans jamais un mot de remerciement. Cependant, peu de monde au regard de ce qu’on peut lire sur internet.
Très belle journée, très originale. La vallée d’Ihlara vaut vraiment la visite : pèlerinage pour certains, témoignages de survie, nécropole, monastère … dans une Nature profonde, vivante, encore préservée.
Samedi 22 avril 2023 - Uchisar, entrée au coeur de la Cappadoce
Sympa le patron de l’hôtel Akar à Ihlara. Il a besoin d’un peu de pub sur Booking.com. Petit-déjeuner très rapide et très sommaire. Départ pour une étape qui me préoccupe en raison des côtes à gravir. Mais d’abord une descente à pente énorme … si les câbles lâchent … puis une remontée symétrique et très longue qui m’a fait poser le pied à terre pour terminer cette portion horrible de la sortie d’Ihlara vers l’Est. Après, un semblant de bonheur pour le cycliste : une route à deux voies sans quasiment de véhicules qui traverse la campagne et coupe par en-dessous les routes à deux fois deux voies. Le paysage n’est plus du tout passionnant à regarder car on retrouve les gigantesques étendues céréalières. Une douceur tout de même à l’horizon avec des montagnes dont les pentes sommitales sont encore enneigées. L’itinéraire est encore aujourd’hui en “montagnes russes”. Le temps est bon pas trop froid pas trop chaud avec une température autour de 15°C. Cette première moitié d’une quarantaine de kilomètres, par le silence et l’immensité traversée, reste un bon souvenir mais sans troupeau, sans paysan, sans forêt.
La deuxième moitié de même longueur se déroule sur la grande et longue quatre voies que j’ai empruntée depuis Konya. Changement de décor. Le ramadan est fini les touristes se précipitent les camions et les cars hurlent aux oreilles du cycliste esseulé qui, tant bien que mal, avance avec mille précautions tant les flux de circulation sont imposants. Quelques arrêts forcés pour grignoter et boire un coup m’ont permis de soulager un peu mon séant qui commence à se manifester et qui oblige à de fréquents changements de position sur la selle.
Enfin, arrive Uchisar, petit village tranquille - d’après les commentateurs d’internet - mais qui me pose dans un autre monde. Des foules de touristes comme chez nous pour le 14 juillet ou le 15 août. De superbes voitures, des files indiennes de piétons petites chaussures de ville. Et … je cherche l’hôtel réservé qui n’est pas positionné à la bonne adresse dans Maps.me et dans Google maps. Il faut dire que l’hôtel Philosophia est un presque secret à trouver. Problème, le gérant me dit que ce soir je dors dans un autre hôtel mais que demain je dormirai là. Curieuse réservation … Pour trouver l’autre hôtel, là encore le positionnement Maps.me et Google maps est erroné. Je finis par trouver avec un accueil agréable et une belle chambre avec grand lit. Peut-être le remplacement vaut-il mieux que l’original ? On comparera demain.
Trouver un petit restaurant est facile : tout le centre du “village” en est rempli. Ayant acheté quelques provisions pour la balade de demain, j’ai sans difficulté réservé une table. Mais un monde fou dans ce centre avec une procession descendante qui venait de la Citadelle, haut lieu d’attraction que j’ai prévu de visiter demain après mon tour des vallées des Pigeons et de l’Amour.
Bilan de la journée : une appréhension un peu exagéré sauf pour la pente où j’ai dû mettre pied à terre, un parcours sur une route de campagne somme toute assez agréable mais avec des espaces infinis sans intérêt, une quarantaine de kilomètres bruyants et qui ont nécessité une attention permanente du fait de la densité du trafic, le contentement d’être à Uchisar une royale porte d’entrée au coeur de la Cappadoce.
Ihlara - Uchisar 81 km 8°C - 17°C +639 m -628 m
Dimanche 23 avril 2023 - Somptueuses …
... vallée des Pigeons, vallée de l’Amour, vallée Blanche ! On est stupéfait lorsque l'on prend en pleine figure les formations rocheuses exceptionnelles - au niveau mondial - que l’on découvre au fur et à mesure de la marche dans le fond de ces vallées. Ce qui est frappant c’est la couleur très claire - du beige au gris au blanc - de ces pans monumentaux de roche lisse, unie et bien sûr de ces gigantesques cheminées de fée construites par l’érosion. Les photos que l’on prend sont toujours originales et magnifiques surtout lorsque l'on a en arrière-plan un ciel bleu éclatant rehaussé de beaux nuages blancs. La marche est facile, longue, tortueuse, sur un sentier tourmenté qui passe parfois en tunnel. On découvre alors au fur et à mesure les pans monolithiques creusés de trous anciens, refuges de persécutés. L’érosion hydrique fut certainement très active car on peut évaluer à plusieurs dizaines de mètres le creusement par l’eau.
Très peu de randonneurs en contraste avec la foule de touristes bigarrés de la petite ville d’Uchisar. Je suis parti faire la boucle des vallées dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, d’abord la vallée des Pigeons (sans les animaux, peut-être en raison des trous que l’on voit dans la roche ?) qui aboutit à Gorème mais qui se double d’autant de distance à la suite pour accrocher vers l’Ouest les abords de la vallée de l’Amour. Arrivé là, on n’en croit pas ses yeux devant ces formes phalliques qui pointent vers le ciel - ou qui font penser aussi à de gigantesques morilles par les chapeaux triangulaires des édifices. C’est là que l’on voit le manque voire l’incongruité de constructions qui n’ont rien à faire au pied des somptueux édifices rocheux, qui attirent en véhicules tout terrain, motos, quads des personnes qui n’ont probablement pas connu les joies de la marche … A l’évidence, ce doit être un secteur à protéger et donc à concevoir des formes de pratiques de découvertes et de cohérence des aménagements pour la gestion respectueuse des merveilles uniques que l’on approche en évitant tout excès dans les bruits, la pollution, les aménagements. Ce faisant - mais c’est loin d’être le cas - c’est l’Homme qu’on respecte en respectant la Nature. Heureusement les photos sont cadrées pour ne pas voir ce qui ne devrait pas exister. Avec les photos, tout est beau ! …
Le retour à Uchisar est parfois d’un cheminement délicat à trouver dans les ravines, les hautes herbes, les quelques rares arbres et arbustes. Je suis tombé au détour d’une montée raide sur un vendeur d’oranges pressés qui se plaignait d’un manque de touristes … L’arrivée à Uchisar se fait en butant sur la citadelle, une formation rocheuse qui domine la ville, et qui fut au cours de l’histoire également un énorme secteur refuge avec même des fortifications par les nombreuses salles, abris, remises creusés dans le tuf.
S’il a fait beau jusqu’en début d’après midi, le ciel s’est progressivement coloré en gris clair puis quasiment gris anthracite sur une partie. La pluie fine d’abord puis assez violente avec orages grondant et éclairs a conclu la journée. Et … a anéanti le beau projet de survol en montgolfière que j’ai programmé depuis longtemps pour demain lundi. Après une annonce par mail favorable, la consultation des services météorologiques nationaux a fait décider l’annulation des vols pour demain lundi. Alors report au lendemain mardi ? Réponse : les vols du mardi sont “full”, alors pour les vols du mercredi ? … Réponse en attente …
Balade pédestre d’une douzaine de kilomètres montants et descendants à souhait
Lundi 24 avril 2023 - Gorème … cité touristique
Quelques kilomètres après Uchisar, on entre dans le coeur de la Cappadoce. Les touristes de toutes nationalités s’y bousculent. La kyrielle de magasins de souvenirs, de restaurants, cafés, d’agences de voyage occupe presque tout l’espace du centre jusqu’à se coller aux superbes cheminées de fée. Gorème est la mecque du tourisme à tout va avec toutes sortes d’engins proposés qui luttent à qui mieux mieux pour faire le plus de bruit possible, les quatre quatre voitures et quads. Mais … il y a aussi des gens plus normaux et soucieux de ne pas trop marquer leur empreinte carbone et détritus et qui sont prévenants, ce qui est remarquable quand il y a foule. Car, arrivé à Gorème, Mulet au cachot, j’ai filé à pied au Musée en plein air à quelques kilomètres. Un monde fou venu en bus, en voiture, très peu à pied, faisait la queue pour acheter le billet d’entrée. En fait, c’est un musée qui nous fait nous déplacer d’église en église, l’ensemble étant très regroupé avec le point commun d’être enchassées dans ces étonnantes sculptures de tuf. Il reste sur les parois et les voutes des peintures retraçant la vie du Christ mais très abimées particulièrement aux visages. On y trouve, d’après l’information donnée, la plus ancienne église troglodyte du IXème siècle dont les très belles peintures sont l’objet de restauration. Les photos sont interdites. Je n’en mettrai que deux sur le site.
Alors, volera ? volera pas ? Le vol en montgolfière était prévu aujourd’hui. Du fait du très gros orage d’hier le vol a été annulé avec impossibilité de reporter à demain ou à après demain, les vols étant complets. Très décu. Mais ce matin au réveil j’en parle au gérant de l’hôtel Philosophia qui me dit peut-être trouver une solution. Après quelques coups de fil sans résultat, il a fini par trouver un vol possible pour demain mardi 25 avril. Inscription faite sans délai. Mais il fallait attendre d’abord confirmation de ma réservation, ensuite feu vert météo car ce matin encore des nuages et de la petite pluie. Le résultat final est arrivé à 16h30 : “Universal Istanbul, 04.15 pick up time”. Le réveil va sonner de très bonne heure ! Je reste encore un peu sceptique car l’endroit où le petit bus doit venir me prendre est pentue, défoncé par les pluies diluviennes d’hier. Mais apparemment le gérant de Cococave (là où je crèche dans une chambre troglodyte !) n’est pas inquiet pour le bus.
Mardi 25 avril 2023 - Cappadoce vue du ciel
Journée mémorable. Après bien des douches froides (partira partira pas …), j’ai pu avoir une (toute) petite place dans le panier d’une montgolfière. Le temps, après une série d’orages sonores, lumineux, violents mais courts qui ont provoqué des rigoles énormes dans les rues montantes de Gorème, s’est enfin mis au beau hier dans l’après-midi. Message magique reçu “Universal Istanbul 4h15 pick up time be ready at reception”.
A l’heure indiquée, le petit bus me prenait. Le chauffeur fit petit à petit le plein des candidats au baptême en montgolfière. Gorème encore endormi devint brutalement en proie à une circulation intense de petits cars Mercedes et Volkswagen, tous avec le même objectif : cueillir les chanceux qui ont pu avoir une place dans une nacelle d’une des nombreuses compagnies de montgolfières. Nous fûmes les premiers arrivés. Nuit noire, personne sur l’aire immense de décollage, pas un ballon en place. Devant, sur la route défilaient les quatre quatre avec l’énorme remorque portant les ballons avec toute la machinerie pour souffler et chauffer l’air devant être engouffré dans l’énorme toile pour la gonfler. Coup de téléphone … On n’était pas au bon endroit. Démarrage un peu brutal du chauffeur pour rejoindre le bon endroit où l’énorme ballon n’est encore qu’une misérable bâche étalée au sol. Les ventilateurs entrent en action. Petit à petit les bosses se multiplient, la poire prend du volume. Arrive le moment où la nacelle couchée sur le flanc lève le nez. Le ballon est désormais retenue par trois ou quatre hommes. On nous dit de monter vite pour faire du poids. 26 personnes dont quelques bipèdes à très fort gabarit. Comment cela peut-il décoller ? Un grand bruit et une puissante explosion : le réacteur vomit la chaleur qui dilatera l’air emprisonné. Quelques coups de lance-flamme et … la nacelle sans bruit se met en lévitation puis assez rapidement prend de la hauteur. Pas un bruit dans la nacelle ! Tout le monde est muet, impressionné par cette apparente facilité de décollage. Le pilote actionne de temps à autre la manette qui remet le chalumeau en route pour prendre plus d’altitude. Les autres montgolfières nous accompagnent sans rien dire. Elles ne peuvent que nous suivre car le vent est presque nul. Néanmoins en prenant de l’altitude Eole a l’air de se réveiller ce qui nous embarque au-dessus des cheminées de fée notamment vers les vallées rouges et roses à l’Est de Gorème. Le soleil pointe son nez à l’horizon. Les ballons prennent des couleurs avec l’éclairage qui augmente. Le ballet est émouvant, les ballons franchissent des crêtes presque à toucher le sol au passage - mais juste avant un petit coup de chalumeau pour rehausser le ballon. Tous les ballons sont étagés de 1300 à au moins 2500 mètres. Plusieurs dizaines font ainsi cette superbe danse au Soleil. A vrai dire, je ne suis pas très rassuré car aucun parachute, une toile au-dessus de nous qui, à plat, a l’air toute frêle et fragile, un panier en bois avec juste quelques poignets en osier qu’il nous est recommandé de tenir, un truc qu’on tire vers le bas qui ouvre le gaz qui s’enflamme … bé le sol est bien loin et bien bas ! Au bout d’une bonne heure de cette danse aérienne sans crier gare on finit par voir que nous sommes en phase descente depuis probablement un bon moment. On a tous les yeux rivés sur l’exceptionnel paysage qu’il nous est donné de contempler. Et … le quatre quatre est en vue, la remorque attelée. Le pilote arrive tout doucement à placer puis poser la nacelle … sur la remorque ! De suite des aides arrivent pour tenir les longerons afin de stabiliser la montgolfière qui presque à regret petit à petit souffle l’air emprisonné jusque là, pour finir par se coucher sur le flanc. La magie est finie !
De retour à l’hôtel, petit-déjeuner - il n’est que 8h30. Puis je file à pied faire une boucle “vallée rouge, vallée rose”, une dizaine de kilomètres en montées descentes sur des cheminements pas mal paumatoires car sans quasiment aucun panonceau indiquant lieu et direction. Le petit outil Maps.me m’a permis de ne me perdre que de quelques dizaines de mètres. Quelques passages en tunnels naturels, grimpettes gravillonneuses, descentes itou, mais dans une belle nature “presque” sauvage mais aucun aménagement choquant comme notamment à la vallée de l’Amour. Je n’ai rencontré encore là que sept ou huit personnes dont - mais elles n’ont pas dû aller bien loin - quelques-unes étaient totalement endimanchées avec petites chaussures vernies. Le soleil a été de la partie. Il semblait même très en forme. Dans la partie la plus basse et la plus proche du réseau routier, bruit … des quads qui, à la queue leu-leu, pétaradaient en roulant n’importe où, mais aussi cavaliers qui suivaient sagement le sentier. On “revient à la ville” ! …
Merveilleuse journée. Les photos montreront je pense que cette Cappadoce reste un haut-lieu de la Nature mais aussi, par l'importance des vestiges troglodytiques stigmates de persécutions passées, est aussi un haut lieu de Mémoire.
A l'heure où je termine la rédaction de ce jour, le tonnerre se remet à gronder ...
Mercredi 26 avril 2023 - Zelve, Urgüp, Mustafapasa
Après la magnifique journée d’hier avec le vol en montgolfière et la balade à pied dans les vallées rouge et rose, je sens que le programme que je m’étais fixé est pour l’essentiel accompli. La Cappadoce n’est pas encore tout à fait visitée. Ce matin je reprends le vélo pour parcourir la zone plus au Nord et à l’Est : je laisse le capharnaüm du centre de Gorème pour filer vers Cavusin puis arrêt à Zelve qui a aussi un musée en plein air. Ticket office : on scanne et la porte s’ouvre. Le circuit se trouve dans un cirque rocheux très creusé avec des communications intérieures en étages et, bien sûr, des fenêtres dans les parois qui donnent sur l’extérieur. Il y a eu semble-t-il un monastère qui, si l’on en croit la hauteur des étages d’ouvertures dans le rocher, a dû recevoir de nombreux moines. Curiosité : une petite mosquée a été creusée avec un bâti supplémentaire en pierre : c’est l’indication donnée par les rares informations données. Plus loin, après quelques côtes qui font souffler, on atteint Urgüp qui, par l’étendue de ses constructions récentes, est un village très actif et laborieux moins seulement centré sur le tourisme comme le peut être Gorème. Tout au long de la route, au moins depuis Cavusin, on voit toujours les mêmes énormes massifs de tuf avec les cheminées de fée et les effets de l’érosion par l’eau. Encore plus au Sud, on atteint Mustafapasa dont le centre est très marqué par les incidences du tourisme et d’un mélange de tradition musulmane et d’influence de modernité notamment chez les jeunes, occidentalisées fortement dans les tenues et l’apparence.
Aujourd’hui donc reprise du vélo avec un peu la tête à l’envers qui me remémore ce que j’ai vécu de plus beau jusqu’à présent : le baptême de l’air en montgolfière, les très beaux parcours paysagers des vallées de l’Amour, Blanche, des Pigeons, Rouge, Rose, Ilhara. Demain direction plein Sud, étape un peu redoutée en raison du vent de face dont j'ai eu pas mal de rafales aujourd'hui, de l'étendue du kilométrage et de la dénivellation positive, et de l'état de fraicheur ... du bonhomme !
Gorème - Mustafapasa 26 km 10°C - 21°C +385 m -352 m